Depuis quelque temps, on me pose souvent ces deux questions : Comment voyez-vous la perspective de la collaboration commerciale entre la France et la Chine ? Est-ce que c’est toujours intéressant pour nous d’aller en Chine ?

Je voudrais commencer à répondre ces questions par la conclusion : tout dépend de vos domaines d’activités, de vos offres et de votre stratégie de développement international ! N’hésitez pas à me contacter sophie.goulvestre@sr2c.compour que l’on puisse examiner ensemble de votre cas particulier.

Plus généralement, basée sur les actualités politiques et géopolitiques, les conjonctures économique et sociale, et les derniers chiffres macro-économiques du marché chinois, déjà largement analysés, commentés et communiqués par les différents presses, médias et experts spécialisés, et notamment sur ma sensibilité singulière d’une native chinoise et la perspicacité de nos réseaux locaux bien informés, ma réflexion sur l’avenir de la collaboration commerciale entre la France et la Chine est la suivante :

1. À court terme

Évidemment, pour une entreprise voulant exporter en Chine, l’approche et la visibilité de ce marché deviennent plus difficiles ce dernier temps, dues à :

La tension géopolitique : conflit économique frontal sino-américain, position ambiguë même pro russe de la Chine dans la guerre Russie-Ukraine, pression plus que jamais forte[1] entre l’Union européenne et la Chine concernant l’équité et la réciprocité des échanges commerciaux bilatéraux…;

Le retrait récent du marché chinois de quelques grands comptes internationaux essentiellement américains (IBM, Microsoft, Virgin Atlantic, Airbnb…), après la vague de départs précédente de certaines autres grandes marques occidentales ;

La conjonction de la crise immobilière, de la crise de mauvaises dettes bancaires, de la baisse de commendes étrangères et de l’épuisement de caisses des gouvernements provinciaux et des grandes villes après 3 ans de dépenses sans compter pour atteindre l’objectif de zéro-covid aboutisse à une économie intérieure de la Chine morose, une consommation plus rationnelle, la fermeture importante des entreprises privées fragiles, un taux de chômage élevé de jeunes diplômés… et finalement une érosion du pouvoir d’achat de la classe moyenne ;

Par ailleurs, la volonté gouvernementale de plus en plus affichée de l’indépendance et du découplage des produits, des technologies, des services et des marques des pays occidentaux n’arrange guerre la situation pour les entreprises étrangères.

Néanmoins, les fonctionnaires et les entrepreneurs chinois sont extrêmement agiles et capables de réagir très vite et d’avoir la détermination de sortir au plus vite de telles pression et difficulté. Dès que l’ordre du confinement du pays était complètement levé au début de l’année 2023, ces leaders chinois s’organisaient rapidement et envoyaient aussi tôt leur délégation en Europe dans le but de chercher et trouver des commandes, des investisseurs et également des collaborations locales. Ce flux de visite vers l’Europe continue encore aujourd’hui.

Par conséquent, les entreprises françaises surtout les PME tech sollicitées par les Chinois [2] sont aujourd’hui en face des opportunités intéressantes mais en même temps d’un dilemme pas facile à trancher : d’un côté, la promesse des affaires en grande volume sur le marché chinois est alléchante, et de l’autre, la peurs de prendre des risques non maîtrisés à moyen et long termes [3] est réelle.

2. À moyen et long termes

Pour toute entreprise française à vocation internationale ou locale mais exposée fortement à la concurrence étrangère notamment via l’e-commerce (par exemple, secteur des produits de grande consommation), les États-Unis, l’Union européenne et la Chine seront toujours les trois blocks de marchés les plus importants à considérer et à surveiller sous le radar, que l’on le veuille ou non. Je vois mal que ce type d’entreprises pourra fermer les yeux devant le poids, la puissance et le dynamisme dégagés du marché chinois.

Aujourd’hui, la Chine est aussi devenu un endroit « must to be » pour certaines entreprises technologiques innovantes, car elle concentre les leaders mondiaux dans les domaines de l’intelligence artificielle, de la 5G, de l’e-commerce, de la fintech, de la voiture électrique, de l’énergie renouvelable, de la fabrication industrielle avancée, du paiement mobile, de la batterie au lithium, etc. Pour une entreprise tech française spécialisée dans ces domaines, le fait d’être en Chine la permet en effet d’observer de très près, même de se confronter aux technologies à l’état de l’art et aux meilleurs compétiteurs mondiaux du secteur afin de stimuler sa propre performance…

On se pose cependant la question sur la stabilité du marché chinois et la probabilité de la fermeture totale du pays aux entreprises étrangères… À mon point de vue, ce scénario extrême est peu probable, et les entreprises CAC40 continuent à développer leurs activités en Chine, en est le preuve.

Car pour maintenir le niveau de vie actuel, donc la paix sociale en Chine, réaliser la montée en gamme du model économique et continuer à développer le pays afin qu’il puisse devenir une véritable puissance mondiale, le gouvernement chinois est en effet impossible de faire la marche arrière brutale sans provoquer une casse catastrophique : depuis plus de 40 ans surtout après son entrée dans l’OMC, l’économie chinoise s’est déjà entremêlée avec le monde extérieur et dépend irréversiblement de l’économie globale.

La Chine est aujourd’hui toujours le principal bénéficiaire de la mondialisation et possède le tissu industriel le plus complet et qualifié du monde, l’exportation de sa production étant plus que jamais vitale pour le pays, elle n’a donc aucune raison de fermer ses frontières radicalement. De l’autre côté, la progression et la modernisation du pays, grâce à la politique de reforme et d’ouverture impulsée par le président Deng Xiaoping, font que l’importation massive de certaines ressources extérieures encore vitales pour la sécurité du pays (énergies fossiles, denrées alimentaires, technologie de pointe sans substitution locale,…) est également incontournable à ce stade du développement, même si le gouvernement a exprimé une volonté de découplage et indépendance significatifs de ces ressources extérieures à plus long terme. L’un des objectifs de l’initiative chinoise des Nouvelles Routes de la Soie est en réalité aussi de sécuriser précisément l’approvisionnement international des ressources cruciales pour le développement actuel de la Chine.

La guerre économique sino-américaine crée également des nouvelles opportunités d’affaires pour la France qui est aux yeux des Chinois un ami particulier grâce à son image du 1er pays occidental reconnaissant officiellement la République Populaire de Chine. Cette année, le gouvernement et la société civile chinois ont ainsi initié et fêté à tous les niveaux le 60ème anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la France et la Chine.

La France et la Chine sont aussi les deux grands pays mondialement connus pour leurs culture, littérature et gastronomie, les Chinois ont une haute estimation pour le peuple français en le considérant comme très qualifié, doué en math et philo, exigeant (esprit critique), créatif, artistique, romantique et porteur de valeurs lumineuses… À l’ère de l’intelligence artificielle laquelle serait capable de remplacer tout travail dit technique, ces entreprises françaises possédant des compétences et des savoirs-faire singuliers comme créativité cognitive, excellence artisanale, soft power design, etc. sont également de plus en plus recherchés par le marché chinois.

3. Devons-nous encore aller en Chine ?

Pas forcément, mais une chose est sûre : Il est important d’inclure la Chine dans le périmètre de réflexion stratégique de toute entreprise de certaine taille : le poids et le dynamisme du marché chinois méritent l’humilité et la considération, notamment si l’on est une société à l’international ou fortement exposée aux concurrents chinois sur ses propres marchés. C’est seulement après une préparation et une réflexion sérieuses, on pourra décider alors son propre rapport avec le marché chinois, y compris aucune action à engager finalement.

4.  Mots de la fin : maîtriser sa chance même au moment d’une crise(危机)

Les entreprises françaises locales pourraient aussi trouver des opportunités de collaboration avec les entreprises chinoises qui sont déjà installées ou comptent d’installer ou encore font le sourcing en France : elles cherchent les fournisseurs, les sous-traitants, les partenaires locaux (intégrateur, distributeur) et à investir localement (par exemple, dans une usine de fabrication française), … Si vous être intéressé par ce sujet, n’hésitez pas à me contacter sophie.goulvestre@sr2c.com.

Pour finir, l’histoire nous a toujours montré que les affaires continuent même pendant la période où les conditions extérieures semblent extrêmement défavorables !Le mot chinois 危机 (Wéijī) signifie qu’un danger peut tout en même temps devenir une chance : investir avec discernement et très bon prix lorsque la bourse s’écoule, se positionner sur une place stratégique d’avenir avant le réveil de ses concurrents lors d’une période de “chaos” et du changement disruptif… et oui, les exemples ne manquent pas !


[1] L’UE, qui reste assez ouverte, aspire les exportations chinoises qui ne trouvent plus de débouchés sur leurs propres marchés et ailleurs. Dans le même temps, le marché chinois reste relativement imperméable aux biens & services européens. La pression entre les deux parties devient de plus en plus forte, et la dernière actualité en date est que l’UE compte d’augmenter les droits douaniers sur les voitures électriques importées de la Chine, qui décide à son tour d’augmenter les taxes d’importation sur le cognac français comme riposte.

[2] Veuillez me contacter sophie.goulvestre@sr2c.compour le détail de ces technologies sollicitées dont les accès chinois sont autorisés par la France.

[3] À titre d’exemple, le fait d’avoir des relations d’affaires avec un acteur chinois black-listé par les Américains pourrait causer des problèmes à une entreprise française lors de son entrée sur le marché nord-américain.