– Une analyse de Sophie Zhou Goulvestre – (l’entretien du www.journaldeleconomie.fr)
1. Que veut dire un projet complexe ? Pouvez-vous citer un exemple ?
Un projet complexe exige, selon moi, une formation scientifique (universitaire ou école d’ingénieur). Il y a une dimension technique à laquelle s’ajoute en début de mission un degré d’incertitude décisionnel ou opérationnel souvent lié à l’aspect innovant des sujets traités. Il n’y a pas de schéma standardisé auquel se rattacher. Chaque projet est unique et doit prendre en compte des parties prenantes variées, mais toujours exigeantes. Le processus de décision, au sein d’une entreprise chinoise étatique, est, par exemple, assez complexe.
Il est donc indispensable d’avoir une connaissance approfondie des dossiers – notamment sur le plan des normes et des certifications – et des modes de fonctionnement des entreprises chinoises pour apporter des solutions utiles à nos clients. Je travaille avec deux autres associés seniors au sein d’un cabinet spécialisé dans les projets techs. Pour mener à bien nos missions, nous disposons d’un réseau façonné avec soin et qui nous permet d’avoir une véritable agilité mise au service de nos interlocuteurs.
Concrètement, je travaille actuellement sur un projet d’intégration d’une solution tech française impliquant l’intelligence artificielle (IA) et machine learning pour la transformation digitale de chaînes de production. Les premières discussions avec les partenaires chinois ont été bonnes même si, comme souvent, il existe une grande prudence quant à la communication de données de la part des Chinois. Nous travaillons notamment à réduire ces craintes pour concrétiser ce projet.
2. Selon vous, quels sont les éléments cruciaux pour réussir un projet franco-chinois de ce type ?
La notion de « Guanxi » est également importante pour comprendre le fonctionnement des Chinois et parvenir à faire des affaires avec eux. En Chine, les rapports humains sont très importants – bien plus qu’en France – dans le milieu des affaires. Sortir au restaurant, boire, parler de sa vie personnelle, est un passage attendu de la part des Chinois. Rester sur un plan strictement professionnel a tendance à éveiller l’inconfort et une certaine méfiance.
De plus, entrer sur le marché chinois demande une forte capacité d’adaptation face aux changements rapides. Cela peut être très déstabilisant, mais un interlocuteur chinois peut changer d’avis au dernier moment. Le marché chinois est très compétitif. Tout va très vite et certaines certitudes sont parfois mises à mal.
En parallèle, il faut être proactif dans la prévention des risques. Ces derniers sont plus importants que dans un projet classique en raison des différences culturelles et de la distance. C’est aussi pourquoi le succès n’est au rendez-vous que lorsque la direction est pleinement engagée dans le projet. Lancer des ballons d’essai sans stratégie préalablement définie est souvent voué à l’échec.
3. Avec vos expériences et observations, que sont les écueils les plus souvent commis par un chef d’entreprise français ?
Comme je le disais, une préparation sérieuse est nécessaire sur le plan stratégique. La rencontre positive à l’occasion d’un Salon n’est pas une base suffisante pour se lancer. Le résultat un ou deux ans plus tard est généralement négatif. C’est un écueil rencontré par beaucoup de PME. Encore une fois, le choix d’un partenaire stratégique est crucial.
La compréhension des rituels, des façons de faire est indissociable d’une réussite future. Dans cette optique, un partenaire français ne doit pas calquer son système de valeurs sur celui de ses interlocuteurs chinois au risque de déboucher sur une incompréhension totale. Les Chinois ne vont jamais clairement exprimer leurs intentions, cette ambiguïté ne va pas toujours être cernée par les Français. Ces derniers ont parfois le tort de ne pas écouter assez. Il existe un excès de confiance dans les techs présentées, ce qui ne permet pas une écoute et des échanges fluides. Pour être tout à fait claire, les Français ont la réputation d’être arrogants.
Le rapport au risque est lui aussi différent. Il existe un proverbe chinois qui dit : « On traverse la rivière en tâtant les pierres », autrement dit, les Chinois n’hésitent pas à avancer en prenant quelques risques contrairement aux Français qui préfèrent tout planifier jusque dans les moindres détails. La rigueur française peut être un atout, mais quand il faut aller vite, elle devient un handicap. Finalement, la Chine et les États-Unis ont un rapport au risque assez semblable. Ce sont deux nations qui aiment le commerce.
4. Serait-il possible d’illustrer vos propos avec un cas d’étude concret ?
Il me vient en tête deux cas, l’un positif, l’autre négatif pour illustrer concrètement mon propos.
Le premier concerne une entreprise française qui développe des solutions vertes innovantes et durables dans le cadre des transformations urbaines visant à rendre les villes intelligentes. Cette startup s’est toujours pensée comme un acteur global et non cantonnée à sa nationalité française. Le dirigeant avait la volonté d’aller en Chine sans aucun préjugé. Il s’est bien préparé et comme il avait la même fibre commerçante que les Chinois, il s’est tout de suite senti à l’aise.
Notre cabinet l’a épaulé sur quatre axes importants : le conseil stratégique, le conseil interculturel, l’ouverture d’un réseau de grands acteurs comme la municipalité de Shenzhen et quelques entreprises connues, etc. Enfin, nous l’avons aidé dans le travail de prospection et de négociations afin d’assurer de bonnes relations avec les interlocuteurs chinois.
L’entreprise a également donné des gages de sérieux et d’investissement sur le long terme avec la création, en Chine, d’un centre d’activités pour la région de l’Asie du Sud-Est et une unité de production dans le pays. Tous ces éléments ont permis à l’entreprise de rapidement être, grâce à notre mise en relation, l’un des finalistes d’un appel d’offres lancé par une municipalité.
A contrario, j’ai suivi une entreprise française qui commercialise une application d’IA pour l’analyse de documents techniques pour les industriels. Cette entreprise a bien réussi en France et a de belles références clients à l’image de la SNCF, Engie ou encore Total. Forte de cette expérience, l’entreprise a visé des sociétés équivalentes en Chine, mais l’analyse de marché n’a pas été assez bonne car les entreprises chinoises de cette taille ont une forte dimension étatique. Or, quand nous sommes venus aider cette entreprise française, nous avons compris qu’il existait une redoutable barrière à l’entrée. En effet, des directives gouvernementales déconseillent aux entreprises chinoises de sélectionner une entreprise étrangère si une solution chinoise peu ou prou équivalente est disponible. Ce type de directive n’est pas facile à trouver même pour les initiés.
Nous les avons poussés à participer à des compétitions organisées par des partenaires chinois afin d’accélérer leur apprentissage du marché et l’on s’est vite rendu-compte que cela n’allait pas fonctionner d’autant plus que le conseil d’administration n’était pas unanime quant à ce projet en Chine. Les éléments n’étaient donc pas réunis pour une réussite – même en changeant de cible – et le projet a été à ce stade abandonné avant qu’il n’entraîne trop de coûts inutiles à l’entreprise.
5. Quelle est votre analyse sur la perspective de collaboration entre la France et la Chine ?
A très court terme, avec situation géopolitique et la conjoncture en Chine, les entreprises ont peur de prendre des risques non maîtrisés. A long terme, la Chine et les USA sont et resteront les principaux marchés au niveau mondial. Une entreprise internationale se doit d’aller en Chine. C’est un marché qui ne peut plus être ignoré.
Dans certains secteurs, les Chinois ont des technologies et produits très avancés à l’image de ce qui se fait dans le photovoltaïque, l’e-commerce, les télécoms ou les voitures électriques. La Chine est au cœur de la compétition mondiale et va continuer à l’être sauf en cas d’une réelle fermeture des frontières chinoises, hypothèse à laquelle je ne crois pas. Le pays est aujourd’hui entré dans une interdépendance avec le reste du monde. Un retour en arrière est toujours possible, mais je ne le pense pas.
Il faut d’ailleurs relever que la guerre économique entre la Chine et les États-Unis crée des opportunités pour les Européens. Ces derniers deviennent les partenaires occidentaux privilégiés des Chinois. On le voit notamment dans le secteur de l’éducation. Les étudiants allaient pour beaucoup aux États-Unis il y a dix ans. Désormais, les pays européens dont la France sont privilégiés.
La Chine veut travailler avec la France mais cette dernière se montre un peu plus réticente. La France est réputée pour la qualité de ses produits, ses savoir-faire innovants. Dans l’esprit des Chinois, la France est le pays des philosophes et des mathématiciens. Un pays qui prône ainsi l’excellence. Cela correspond aux nouveaux besoins de la Chine qui entre dans une phase qualitative après avoir fait dans le quantitatif. Ce changement va se retrouver dans les deux expositions internationales B2B récentes (CIIE et CISCE*) dédiées aux entreprises étrangères. La Chine fête cette année le 60e anniversaire de ses relations diplomatiques avec la France, laquelle est, bien entendu, l’invité d’honneur de ces expositions.
Les entreprises technologiques françaises connaissent malgré tout un dilemme entre le développement en Chine ou aux États-Unis. J’ai travaillé avec une entreprise qui avait des actionnaires chinois et canadiens. Or, l’actionnaire chinois était sur une liste noire établie par les États-Unis. Finalement, l’entreprise a fait le choix de se séparer de son actionnaire chinois pour pouvoir continuer son développement en Amérique du Nord.
6. Comment vous positionnez-vous en tant que spécialiste de l’accompagnement professionnel de projets complexes entre la France et la Chine ?
SR2C est une petite structure fondée en 2015 et jouit d’une réelle renommée auprès de ses clients et par des structures comme BPI France et Business France. Nous avons la réputation d’être des professionnels expérimentés et agiles, capables de nous adapter. Notre petite taille et notre intelligence dans les affaires – avec une sensibilité pour la maîtrise des risques opérationnels – nous permet d’avoir une bonne granularité dans l’analyse de chaque cas particulier qui fait trop souvent défaut au sein de plus grosses structures.
Nos clients sont généralement des entreprises françaises aux technologies innovantes avec une envergure assez large pour porter un projet en Chine. Nous travaillons aussi en marque blanche pour le compte de cabinets de conseil par exemple.
Nos quatre grands secteurs d’activité sont l’industrie (avec l’intégration de technologies innovantes), la finance, l’art de vivre (à la française) et l’éducation supérieure. La qualité de nos consultants – tous seniors et dotés d’un bagage international important – qui ont travaillé dans le passé avec des sociétés comme CGI, Renault, L’Oréal, Swiss Life, BASF, etc. en tant que consultants externes ou internes. Nous sommes tous titulaires de diplômes issus des meilleures écoles françaises et chinoises avec une base très solide dans les domaines de l’ingénierie et du management stratégique. Nous avons une expertise métier forte, une compréhension des us et coutumes en Chine et une communication interculturelle de très bon niveau. C’est pourquoi nous avons la confiance de nombreuses entreprises. Le marché chinois est aussi attractif qu’effrayant et une expertise de haut niveau est souvent indispensable pour y réussir sur le long terme.
* China International Import Expo (CIIE) et China International Supply Chain Expo (CISCE)